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Bernhard Keil (Eberhart Keilhau) Girl Sleeping ca. 1655-60 oil on canvas Detroit Institute of Arts |
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Aniello Falcone Sleeping Figure ca. 1630 drawing Statens Museum for Kunst, Copenhagen |
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Jean-Jacques Henner The Levite of Ephraim and his Dead Wife ca. 1898 oil on canvas Princeton University Art Museum |
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Cavaliere d'Arpino (Giuseppe Cesari) Sleeping Sisera ca. 1590 drawing Musée des Beaux-Arts de Lyon |
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Félix Vallotton Woman Sleeping at Waterside 1921 oil on canvas Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg |
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attributed to Vittore Carpaccio Dead Christ ca. 1500 drawing Kupferstichkabinett, Staatliche Museen zu Berlin |
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Lovis Corinth Sleeping Model 1910 oil on canvas Landesmuseum Hannover |
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Cigoli (Lodovico Cardi) Model posed as Dead Christ ca. 1599 drawing (study for Pietà) Kupferstichkabinett, Staatliche Museen zu Berlin |
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Anonymous German Artist The Entombment ca. 1500-1505 tempera on panel Art Institute of Chicago |
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James Edward Davis Sleeping Model 1931 drawing Princeton University Art Museum |
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Anselm Feuerbach Sleeping Figure ca. 1856-57 oil on cardboard Alte Nationalgalerie, Staatliche Museen zu Berlin |
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attributed to Padovanino (Alessandro Varotari) Sleeping Venus ca. 1630 oil on canvas Bildgalerie von Sanssouci, Potsdam |
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Jean-Baptiste-Marie Pierre Sleeping Bacchante 1763 oil on canvas (grisaille) Musée des Beaux-Arts de Rennes |
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Roman Empire Sleeping Cupid 2nd century AD marble Galleria Borghese, Rome |
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Dirk de Quade van Ravesteyn Sleeping Venus ca. 1595 oil on panel Musée des Beaux-Arts de Dijon |
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Dirk de Quade van Ravesteyn Sleeping Venus ca. 1608 oil on panel Kunsthistorisches Museum, Vienna |
On peut hasarder pour cette transposition, cette confusion, quelques hypothèses.
Michelet peut-être n'avait pas revu le grand tableau du Louvre depuis longtemps: ce tableau on le sait l'effrayait, il se souvenait trop du choc que lui en avait causé la première vision. Il l'évitait autant qu'il était en lui, le louait et le détestait, l'idolâtrait, de loin. D'ailleurs quand en 1852 il écrivit sa visite et sa vision de 1846 à Saint-Nicolas, il était à Nantes au bout de la Loire, pas au bord de la Seine qui porte Les Onze. Aussi dans la scène de la sacristie, vécue en 1846, écrite en 1852, le retrace-t-il de mémoire et le falsifie-t-il, de bonne foi peut-être ou avec cette perversité de prêtre ennemi des prêtres, qu'on lui connaît. Et dans cette falsification, cette reconstruction de mémoire, dans les célèbres douze pages donc, il applique au grand tableau ce qu'il a vu, imaginé et bricolé ce jour-là (dans la sacristie et à propos de la sacristie): il dit que dans Les Onze même on voit la grande table de chêne et la lanterne de corne sur la table; il dit surtout qu'on y voit les chevaux, les chevaux dans leurs stalles de soufre, d'or, de basalte, leurs stalles à la nation, les chevaux de l'enfer et de l'adoration. À la décharge de Michelet on peut croire que, dans le bric-à-brac prodigieux et prodigieusement encombré qui lui tint lieu de mémoire, il a pour guides et repères d'autres peintures, l'Officier de chasseurs de Géricault, une bataille de Rubens, les illustrations que fit pour Macbeth Füssli, ou la jument emblématique du Cauchemar de ce même peintre – ou encore, peut-être, que Michelet à sa table d'écriture, venant d'inventer et d'énoncer sa propre fable d'un cheval riant dans la nuit derrière la cloison de la pièce où les trois sorciers commandent à l'enchanteur la peinture des Onze, Michelet n'est plus le maître de sa fiction, cette fable si just qui vient de sortir de son esprit l'enivre, l'emporte, et il l'enfourche sans ambages. Moi, je ne vois pas la lanterne carrée, là, devant nous, dans le tableau du Louvre: je crains bien qu'elle ne vienne tout droit de Madrid, du Tres de mayo, du 3 mai de Goya, où elle éclaire une scène d'équarrissoir, de massacre de masse, pas des Onze – quelque chose pourtant comme une lanterne éclaire bien Les Onze, mais quoi? Je ne vois pas non plus la sainte table, quoique sans doute il faille bien qu'il y ait quelque chose comme une table pour recevoir à mis-hauteur le chapeau de Prieur de la Marne qui ne tient pas tout seul, qui n flotte pas en l'air à la hauteur de sa ceinture par la seule vertu du Saint-Esprit. Et surtout je ne vois pas les chevaux. Et vous, Monsieur, les voyez-vous?
– Pierre Michon, from Les Onze (Verdier, 2009)